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La Soutenance de thèse de Michel Butor



Tout au long de sa vie, Michel Butor (1926-2016) a parcouru le monde, enseigné dans de nombreux pays et développé sa curiosité et sa créativité dans tous les domaines. À sa mort, son œuvre comportait plus de 200 titres (romans, poésie, écrits sur l’art, textes expérimentaux, etc.). Il explora également toutes sortes de pratiques artistiques en particulier les collages. En 1957, il fut lauréat du Prix Renaudot et rattaché (malgré lui) au Nouveau roman.

 

Le mercredi 7 février 1973, l'université de Tours est en effervescence…

Bien que professeur "associé" à l'université de Nice, Michel Butor a décidé de soutenir sa thèse à Tours. L'événement eut lieu dans les locaux alors très récents de la rue des Tanneurs et plus précisément dans une salle des actes toute neuve (l’actuel amphi Roger). Dans ce lieu plutôt étroit, étaient rassemblés les membres du jury (Jean Starobinski, de l'université de Genève ; Jean-Pierre Richard, de l'université de Vincennes ; Léon Cellier et Michel Raimond, de l'université de Paris IV - Sorbonne), des chercheurs et étudiants français et étrangers, des journalistes et des curieux attirés par la renommée du Prix Renaudot. Plusieurs opposants à ce "show culturel" se firent entendre avec un haut-parleur tentant de couvrir la voix de Butor et répandirent des tracts signés "le centre pour l’accroissement du Cannibalisme appliqué". La presse témoigna de cet événement universitaire et médiatique : Le Monde (Critique romanesque, alchimiste et anthropophage Michel Butor devant ses juges ; article de Jacqueline Piatier publié le 15 février 1973) et Le Nouvel Observateur (Docteur Butor, article publié le 12 février 1973 ; n° 431, p. 67) : "Le Tout-Paris littéraire s'est rendu la semaine dernière à Tours pour assister à la soutenance de thèse de Michel Butor, actuellement professeur à la faculté de Nice".

 

Soutenance de thèse Michel Butor 2

Photo : Gérard Proust
© La Nouvelle République

Comment cette soutenance fut elle organisée ?

À l’automne 1972, l'écrivain et sociologue Jean Duvignaud (en poste à l’Université de Tours) proposa à Jacques Body, tout jeune professeur titulaire, d’organiser la soutenance sur travaux de Michel Butor qui n’était alors que "professeur associé" à Nice. La loi d’orientation de l’enseignement supérieur de 1968 comportait dans son article 20 une disposition générale concernant l’ensemble des doctorats de toutes les disciplines : "Les titres de docteur sont conférés après la soutenance d’une thèse ou la présentation en soutenance d’un ensemble de travaux scientifiques originaux". L'écrivain n'a pas rédigé une thèse à proprement parler mais est évalué sur ses précédents travaux critiques évoquant l'œuvre d'auteurs du XVIe au XXe siècle, notamment Les Répertoires I à III (Éditions de Minuit, 1960-1964 ; essais sur Honoré de Balzac, Victor Hugo, Marcel Proust, Raymond Roussel, etc.), Histoire extraordinaire, essai sur un rêve de Baudelaire (Gallimard, 1961), Essai sur Les Essais (Gallimard, 1968) ou encore Rabelais ou C'était pour rire (Larousse, 1972, en collaboration avec Denis Hollier). Dans son article publié dans Le Monde, Jacqueline Piatier s'interroge : " À qui les représentants des quatre universités présentes ont-ils affaire ? À un journaliste, un touche-à-tout de génie ? Ou à quelque Pic de la Mirandole pour qui le monde est une bibliothèque, la vie, une lecture perpétuelle et toujours recommencée ?"

Soutenance de thèse Michel Butor 1

Photo : Gérard Proust
© La Nouvelle République

Et après ?

La mention Très honorable fut attribuée à l’unanimité du jury mais le Comité consultatif (ancêtre du Conseil national des universités) refusa d’inscrire Michel Butor sur la liste d’aptitude aux fonctions de professeur titulaire. Jacques Body parle d’un "comité consultatif dominé par l’université plutôt conservatrice de la Sorbonne". "Les étudiants en lettres de cette époque se rappellent encore le sentiment de scandale qu'ils ont éprouvé face à ce refus. Butor est alors invité par Jean Starobinski à l'université de Genève. Professeur titulaire, il y enseigne de 1974 à 1991, date de son départ à la retraite. Cela ne l'empêchera pas de continuer à enseigner un peu partout dans le monde, des États-Unis au Japon." (14 septembre 1926 : Michel Butor ; page internet consacrée à la vie et à l'œuvre de l'écrivain : http://www.maremurex.net/butor.html). Butor, lui-même, ne semble pas avoir gardé un très bon souvenir de cette journée du 7 février si l’on en croit une lettre à son ami Georges Perros : "La séance du 7 février a été aussi pénible que prévu. D’ailleurs tu as dû voir Quesnel depuis qui y était […] J’ai eu besoin d’une bonne semaine pour me remettre des festivités tourangelles". Perros lui répondit : "Mon cher docteur, Oui, on m’a dit que tu avais été très brillant, ce qui ne m’a pas étonné. Bonne chose de faite."

Le catalogue de la Bibliothèque universitaire de Tours conserve environ 180 ouvrages de Michel Butor ou évoquant son œuvre. Un fonds Michel Butor est conservé à la Bibliothèque de l’université de Nice.


Pour en savoir plus :
Article de La Nouvelle République publié le 25 août 2016 évoquant cet événement.